Dans l’œil du collectionneur n° 3:Les mères doivent nourrir (vers 1920-1926)
Plus près du cabinet de curiosités que du panthéon, la série Dans l‘œil du collectionneur de Zoom Out propose des films hors normes dénichés en dehors des grandes archives et cinémathèques par nos collaborateurs et collaboratrices.
More of a cabinet of curiosities than a pantheon, Zoom Out’s Dans l‘œil du collectionneur presents outlandish films that have been found outside of official archives and cinematheques by our collector-collaborators.
Une sélection de | Presented by :
Louis Pelletier (Cinémathèque québécoise & Groupe de recherche sur le cinéma éducatif, industriel et de commande canadien, Université Concordia).
Titre | Title : Les mères doivent nourrir (Pathé Consortium Cinéma, vers 1920-1926)
Musique originale | Music : Jérémie Carvalho
Voix | Voice : Camille Lacelle Wilsey
Post-production : Olivier Godin
Numérisation | Digitization : Alexis Landriault (Main Film)
Durée | Length : 12 min. 46
License | Licence : Creative Commons (CC) BY-NC-ND
Description (FR) :
La compagnie Pathé Frères initie en 1909 une collaboration avec le docteur Jean Comandon (1877-1970), pionnier de la microcinématographie. De 1910 à 1926, Comandon supervisera la production de plusieurs centaines de films éducatifs, scientifiques et médicaux dans les studios de Pathé à Vincennes. Ces films sont essentiellement destinés à la communauté scientifique, à l’enseignement et à l’éducation populaire.
“Les mères doivent nourrir” présente un curieux mélange de domesticité et de scientificité patriarcale bienveillante, transmise par les vues microcinématographiques et la mise en scène des protocoles médicaux. L’action la plus intime qui soit, l’allaitement, est mise en scène dans l’environnement neutre du studio, mais en présence d’enfants intrigués tant par la caméra et l’infirmière que par leur nouvelle petite sœur ou nouveau petit frère.
Produit au sortir de la Grande Guerre, “Les mères doivent nourrir” ne manque par ailleurs pas de faire comprendre que ce qui menace les bébés menace la France. Et, tragiquement, plusieurs des nouveau-nés qui bénéficieront des nouvelles connaissances de leur mère sur l’allaitement et les vertus du lait maternel seront assez vieux pour être mobilisés en 1939.
Description (EN) :
The French film company Pathé Frères initiated in 1909 a collaboration with the physician Jean Comandon, a pioneer of microcinematography. From 1910 to 1926, Comandon would supervise the making of several hundreds of educational, scientific and medical films in Pathé’s Vincennes studios. These films were for the most part destined to be exhibited to the scientific community, or in educational contexts.
“Mothers Must Feed” blends domesticity with a scientific outlook steeped in patriarchy, conveyed by the microcinematographic views and the stolid performance of medical protocols. The most intimate of human activities, breastfeeding, is performed in the neutral space of the studio, but under the eyes of a few children equally intrigued by the movie camera and their new brother or sister.
Produced as France was coming out of the Great War, “Mothers Must Feed” finds ways to remind its audience that the health of babies is also the health of the French nation. And, tragically, many of the infants who ended up benefitting from their mother’s new awareness of the multiple benefits of breastfeeding and breast milk would eventually be old enough to be called up in 1939.
Information :
Cette copie numérique a été produite à partir d’une copie 35 mm sur support safety diacétate provenant de la collection Jean Bélanger acquise par Louis Pelletier. Le travail de numérisation a été mené par Alexis Landriault (Main Film).
La musique originale est de Jérémie Carvalho (composition et interprétation) et Camille Lacelle-Wlisey (voix).
This digital version was produced from a diacetate safety 35mm print acquired from the Jean Bélanger collection by Louis Pelletier. It was scanned by Alexis Landriault (Main Film).
The original soundtrack was composed and performed by Jérémie Carvalho and Camille Lacelle-Wilsey (vocals).
Postface du collectionneur
Ma grand-mère Lucienne m’a raconté que, après la naissance de son premier enfant en 1945, son médecin l’avait enjointe à respecter l’orthodoxie médicale défendue par Les mères doivent nourrir en allaitant à heure fixe, quitte à ignorer les pleurs de mon oncle Michel. Elle s’efforça donc de refouler son instinct de jeune mère – cela jusqu’au jour où elle vit la chatte de la famille saisir un bout de pain, le tremper dans son bol de lait, puis monter à l’étage pour le déposer dans le berceau du nouveau-né. « Cette chatte-là est plus intelligente que le docteur », se dit ma grand-mère, et mon oncle fut dès lors allaité à chaque fois qu’il l’exigeait par ses pleurs.
Cette anecdote illustrant la tension entre le patriarcat médical et le ressenti des mères est d’autant plus étonnante si l’on considère que le père de ma grand-mère Lucienne – mon arrière-grand-père, pour ceux qui ont l’esprit de déduction – avait été un de ces médecins chargés de l’éducation des nouvelles mères dans les années 1920 et 1930. Tragiquement décédé du cancer avant la naissance du premier de ses (nombreux) petits-enfants, le docteur Charles-Henri Dumais avait en effet été nommé inspecteur du Bureau provincial de la santé publique au début des années 1920. Les responsabilités venant avec le poste ne concernaient pas que le contrôle, les inspecteurs étant entre autres chargés de l’organisation de conférences devant rendre accessibles les avancées de la science médicale à la population.
Dans un article consacré à la mortalité infantile publié en 1924 dans le Bulletin sanitaire (vol. 24, no 4), mon arrière-grand-père Charles-Henri explique lui-même que le devoir du médecin canadien-français est d’éduquer ses compatriotes sur les enjeux concernant leur santé tout en combattant les superstitions et idées reçues. La pratique assidue de la photographie amateur par Charles-Henri suggère par ailleurs qu’il était pleinement conscient du pouvoir des images. J’aime donc imaginer que les trajectoires de mon arrière-grand-père et de cette copie de Les mères doivent nourrir provenant d’une collection québécoise se croisèrent un jour le temps de quelques conférences illustrées.
Louis Pelletier
Avril 2021
Collector’s Postscript
One day, my grandmother Lucienne told me that, when her first child was born, her physician instructed her to respect the medical doxa defended by Mothers Must Feed by following a strict nursing schedule, even if this meant letting her newborn – my uncle Michel – cry. So she struggled to refrain her motherly instinct – up until the day when she saw the family’s cat grab a piece of bread, dunk it in her milk bowl, and then run upstairs to the baby’s crib, where she deposited it. “That cat is more intelligent than my doctor,” thought my grandmother. And from that moment onwards, my uncle was fed every time that he cared to vocalize his need for nutrients.
This anecdote summing up the tension between the patriarchal medical establishment and the felt experience of women is rendered even more curious if we consider the fact that my grandmother’s father – that’s my great-grandfather for you Sherlocks – was one of those physicians tasked with the education of mothers in the 1920s and 1930s. In the years that preceded his premature death from cancer at the age of 40 (he would never get to meet any of his eventually numerous grandchildren), the doctor Charles-Henri Dumais held the title of inspector for the Provincial bureau of public health. The duties associated with this position were broader than what the title implies: inspectors were, among other things, tasked with the organization of lectures and conferences that would make scientifically valid information on child-rearing available to the general population.
In an article dedicated to infant mortality published in 1924 in the Bulletin sanitaire (Vol. 24, no. 4), my great-grandfather argues that it is the duty of the French-Canadian physician to educate his compatriots on matters of public health and fight superstition. And, as a dedicated amateur photographer, he must have been fully aware of the potential of images for education. I consequently like to imagine that the paths of my great-grandfather Charles-Henri and of this print of Mothers Must Feed sourced from a Quebec collection eventually converged for a few illustrated lecture.
Louis Pelletier
April 2021